Le carnet de route de Patrick


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vendredi 24 janvier 2014

La rue et les femmes : Séverine, 32 ans, 7 ans de rue

Rédigé par l'équipe de Tweets 2 Rue

Séverine, @seselapero, à la rue depuis 7 ans, m'avait accueilli à Toulouse. Elle avait commencé à me montrer la ville et me prendre sous son aile pour me faciliter la tâche, mais des problèmes conjugaux lui ont fait prendre des distances au bout de 2 jours. L'équipe Tweets 2 Rue lui avait parlé juste avant. Elle leur livre ici son histoire et surtout son analyse sur les personnes à la rue.


"Je me faisais une joie d’échanger avec Patrick, de faire connaissance avec lui en vrai. Sur le tweet, ça restait du virtuel. Je trouvais ça sympa et j’étais super contente.

Mais j’ai des problèmes de couple. On est au bord de la rupture. Je n’ai pas de tente assez grande pour pouvoir partir, il faut que je m’en achète une. Du coup c’est galère par rapport à Patrick.

Je suis déçu par mon compagnon, il m’a pété le moral. Il a fait la gueule toute la soirée le premier jour et ça ne s’est pas amélioré ensuite. J’ai commencé à faire faire à Patrick le tour de la ville : le Capitol, la mairie, l’Office du Tourisme (pour récupérer un plan de la ville), lui donner quelques adresses ici. 

Une femme à la rue est rarement seule 

Moi ça fait à peu près 7 ans que je suis à la rue. J’y suis depuis un peu avant mes 25 ans, j’en ai eu 32 en novembre dernier. Tout a commencé le jour où j’ai quitté mon mari pour violences conjugales.

Je ne me considère pas comme une femme battue puisque je rendais les coups, mais c’était extrêmement violent. Il y a eu des mains courantes, des dépôts de plaintes.

J’ai été un temps dans des foyers sécurisés, mais il retrouvait ma trace à chaque fois. Il passait par une recherche dans l’intérêt des familles. Il me menaçait de mort. J’ai alors été déplacée de foyer en foyer. Pendant un an.

J’en ai eu ras-le-bol qu’on me prenne pour un sac de voyage, alors je me suis cassée.

Une femme à la rue est rarement seule. Elle se met rapidement en couple pour éviter les problèmes. Mais moi je venais de sortir d’une relation très difficile, moralement j’avais bien trinqué.

Bon il faut dire que j’ai un avantage. Je n’ai pas vraiment un physique classique de femme. Tu vois un rugbyman ? C’est un beau bébé par rapport à moi (rires). J’ai une bonne carrure et pas la langue dans ma poche. Et quand il faut cogner je cogne. Je ne me suis jamais faite agresser jusqu’ici. 

3 catégories de femmes à la rue 

Il faut savoir qu’il y a 3 catégories de femmes à la rue. Il y a les femmes-bonhomme (un peu comme moi), les femmes faciles (qui cherche à avoir de la protection) et une autre catégorie, très discrète, qui travaille, qui est propre sur elle, mais qui est à la rue. Ces femmes qui n’arrivent pas à s’en sortir, qui gagnent trop pour entrer en HLM et pas assez pour le privé.

J’ai remarqué qu’il y a énormément de personnes à la rue qui viennent de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance, ndlr) ou de la DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales, ndlr). Quand on se retrouve à la rue, c’est souvent qu’au départ il y eu d’une manière ou d’une autre une histoire familiale pas top. J’en avais discuté avec une travailleuse sociale qui faisait le même constat que moi. 

Difficile de garder un travail quand tu ne peux pas rester propre 

Je n’ai jamais eu de problème pour trouver du boulot. Ça va quand tu peux prendre une douche sur place, comme pendant les vendanges par exemple. Quand tu n’as pas la possibilité de te laver, après une semaine tu ne te sens pas bien, tu te sens crasseuse. Ajouté à cela le manque de sommeil, parce qu’à la rue tu ne réussi pas à dormir correctement, ça devient très compliqué.

Olivier mon compagnon actuel travaille comme ouvrier, il n’aurait jamais eu de CDI s’il ne pouvait pas prendre une douche au travail. Personne à son boulot ne sait qu’il est à la rue. 

Je suis prioritaire DALO (Droit Au Logement Opposable, ndlr). Mon dossier est complet, donc j’attends. C’est gavant. Soit ça se débloque et j’arrive à avoir un appart et je me trouve rapidement un boulot, soit je reste comme ça à la rue. 

A la rue tu es obligée d’acheter à manger au jour le jour 

Avec un RSA on ne vit pas. D’autant que j’ai 5 chiens dont 3 à mon nom. Entre les nourrir (2 sacs de 20 kg de croquettes durent environ 3 semaines) et les emmener chez le véto quand il y a un problème... Et puis à la rue, tu es obligée d’acheter à manger au jour le jour. Tu ne peux rien conserver ou stocker. Ça revient très vite cher. Après il y a le tabac. Je me ruine en tabac. C’est devenu un produit de luxe.

Je n’ai jamais eu de problème pour trouver du boulot. Parce que je ne suis pas regardante. Le problème c’est le garder pour les raisons que j’ai expliquées tout à l’heure. J’ai une formation de secrétaire médicale, j’ai fait de la plomberie, de la sécurité, j’ai été aide-soignante dans une maison de retraite, j’ai été aide à domicile, j’ai aussi fait 4 ans de caisse à LIDL. 

Mes chiens c’est ma famille 

Le fait que j’ai mes chiens n’aide pas retrouver une situation. Est-ce que je pourrai renoncer à mes chiens ? On me l’a toujours demandé. Comme les assistantes sociales par exemple. Alors je leur demande si elles ont des enfants. Et je leur demande si elles abonneraient leurs gosses pour avoir un logement.

Mes chiens se sont mes enfants, ma famille. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai du mal à me séparer de mon compagnon. L’idée de perdre la moitié de ma meute me coupe le moral.

J’ai appris à marcher avec des chiens. Je n’ai pas un seul souvenir de jeunesse ou de vie où je n’avais pas un chien auprès de moi. 

La discrimination positive c’est toujours de la discrimination 

Moi il y a quand même une chose qui m’exaspère. Dans ma recherche d’appart, j’avais contacté la Ligue des Droits de l’Homme. Et on m’a répondu texto : «  Ah vous êtes française, on ne peut rien faire pour vous ». J’ai l’impression que c’est plus facile d’être Rom pour trouver des solutions d’hébergement. Il y a même des subventions européennes spécifiques pour les collectivités sur cette question. 

La discrimination positive c’est toujours de la discrimination, tu discrimines juste quelqu’un d’autre alors que pour les personnes à la rue, on est tous logés à la même enseigne"

@seselapero



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